La phrase du moment

Article 26.2 de la Déclaration universelle des droits de l'homme :

L'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix.

L'éducation est un droit fondamental ; Préservons le!

Parents, n'hésitez pas à nous contacter par courriel : FCPE.LeroyCassagne@gmail.com
Nous représentons l'ensemble des parents d'élèves au conseil d'école, vos remarques et suggestions sont précieuses.

vendredi 10 septembre 2010

Une détresse inexcusable

LE MONDE DES LIVRES

Notre époque a la passion du document "brut". Elle tend à croire que pour saisir le monde "réel", mieux vaut s'en remettre aux anecdotes vécues, à des récits livrés tels quels, plutôt qu'aux enquêtes savantes. D'où la multiplication de publications qui rassemblent des archives ou des témoignages sans les accompagner du moindre appareil critique. Souvent, la chose est revendiquée : dans ce livre, disent les auteurs, nous n'avons aucun parti pris théorique, nous laissons cela aux "spécialistes"... Il arrive pourtant qu'une telle posture se retourne contre son auteur.

Et pourtant, à la lecture, il n'y pas vraiment de quoi rigoler. Page après page, ces mots volés, ces paroles intimes qui n'ont rien demandé, et surtout pas à être publiées, font affleurer la vie fragile, la violence du quotidien. Vous voulez rire ? "Monsieur le directeur, Veuillez exuser Sophie V. pour son absent je n'ai pas pu me présenté avec elle parce que son père m'a frappé je ne peux pas sortir". Une bonne blague ? "Maintenan que cé le ramadan, vous allé nous laissé tranquil avec vos istoirs de retar a brahim j'espèr. Merssi de votre respect". Vous ne souriez toujours pas ? "Dans le but de ne pas creusé la sécurité social, je n'ai pas amené Cyril au médecin. Je le remplace donc en m'escusant pour cause de diarée"...Voyez le bref volume publié sous le titre Mots d'excuse (Bourin Ed., 130 p., 14 €).

Ancien instituteur, Patrice Romain y propose une sélection des courriers que les parents d'élèves lui ont envoyés au cours de deux décennies d'enseignement. Depuis longtemps, le professeur d'école avait pris l'habitude d'exhiber ces petits mots en salle des "profs" pour faire rire ses collègues. Un jour, il a eu l'idée de les publier, dans leur syntaxe et leur orthographe d'origine, souvent approximatives. Depuis sa parution, le 26 août, le recueil connaît un fort écho. Il fait du bruit sur la Toile, journaux et radios en citent de savoureux extraits, son auteur a été invité au Journal de France 2.

Contacté par Le Monde, il confie : "Ce livre a été écrit avec beaucoup de tendresse, j'ai choisi les textes les plus pittoresques, c'est un clin d'oeil destiné à faire sourire." En fait de "tendresse", Patrice Romain confie que, progressivement, il a lui-même changé de regard sur ces mots d'excuse : "C'est vrai, à la relecture, c'est moins drôle, on se dit "mince, ça reflète la misère de notre société". C'est un peu effrayant, mais c'est une photographie." Certes. Mais tout le malaise vient justement du fait qu'aucune photographie n'est neutre, et que celle-ci est livrée sans légende. Or, par-delà leur désordre apparent, les "mots d'excuse" laissent entrevoir une société d'ordre, un univers où tout accroc aux règles se trouve sanctionnée par l'exclusion des plus faibles, à jamais "inexcusables". Pour en prendre la mesure, il aurait fallu inscrire ces écritures précaires dans leur contexte culturel et social. "La restitution fascinée ne suffit pas", notait l'historienne Arlette Farge dans son magnifique essai Le Goût de l'archive (Seuil, 1989). Décidément, le document brut n'est ni plus "objectif" ni plus "vrai". Il se révèle simplement brutal.

Article paru dans l'édition du 10.09.10